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Publié par Raphaël DIDIER

Le "jour de la libération". C'est ainsi que Donald Trump a qualifié la salve de droits de douane annoncée le 2 avril sur les importations aux États-Unis. Fidèle à son slogan Make America Great Again (MAGA), qui pour l'occasion est devenu Make America Wealthy Again (rendre l'Amérique à nouveau riche), le président des États-Unis a pris à l'évidence un grand plaisir à présenter la liste des pays taxés, amis ou ennemis. Mais, mesure-t-il réellement les conséquences de cette guerre commerciale ? Quelques éléments succincts de réflexion sur les droits de douane et le protectionnisme dans cet article.

Les droits de douane, une doctrine chez Trump ?

Comme je l'explique dans mon livre Les grands mécanismes de l'économie - 3e édition, l'on distingue deux grandes catégories de mesures protectionnistes :

  • les droits de douane, qui sont prélevés à l’entrée du pays, au passage de la douane, sur un certain nombre de produits importés. 
  • les barrières non tarifaires à l'instar des quotas, des prohibitions, des accords de limitation, des actions antidumping.

Donald Trump semble avoir une prédilection pour les premiers, conseillé en ce sens par l'ancien magnat de Wall Street, Howard Lutnick, qui rêve d'une Amérique riche grâce aux droits de douane, à l'image de ce qui se passait à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, où les États-Unis taxaient peu les revenus nationaux, mais beaucoup les importations. Trump se réfère ainsi souvent à son prédécesseur, William McKinley, qui n'avait pas hésité en tant que représentant de l’Ohio au Congrès à faire voter le célèbre McKinley Tariff (1890) pour augmenter de manière importante les droits de douane.

Hélas, loin de représenter l'âge d'or (Gilded Age) tant rêvé par Trump, cette période de l'histoire américaine rime surtout avec pauvreté et corruption. Pis, il n'y avait même pas de Banque centrale aux États-Unis et les crises monétaires et financières soumettaient le pays à d'importantes fluctuations économiques menaçant constamment sa prospérité. Mais, comme toujours avec l'idéologie, elle ne retient que les aspects positifs et passe sous silence le pire...

Les pays les plus touchés

Pour décider des pays à taxer, Donald Trump semble simplement avoir fondé sa décision sur une analyse sommaire des 15 pays ("Dirty 15") ayant les plus gros déficits commerciaux avec les États-Unis, négligeant de la sorte le volet service plutôt favorable aux États-Unis :

[ Source : The Wall Street Journal ]

Si l'on savait déjà que Trump n'aimait pas la Chine et l'UE, il n'a pas manqué de marteler pendant une demi-heure, hier soir, tout le mal qu'il pensait de l'UE accusée d'avoir "arnaqué" les États-Unis. Rien que ça ! Curieusement, la Russie et l'Ukraine n'ont pas été placées à la même enseigne...

Conséquences économiques

Commençons par rappeler une évidence : il devient de plus en plus rare d'avoir un produit fabriqué à 100 % dans un pays, avec 100 % de composants de ce pays et 100 % de salariés nationaux. C'est ce que les économistes appellent la "décomposition internationale des processus productifs" (cf. Philippe Moati / El Mouhoud Mouhoub) ou la "fragmentation de la chaîne de valeur" (cf. Baldwin et Clark Frigan / Fontagné).

La vidéo suivante présente ainsi brièvement la décomposition du processus productif de l'iPhone.

Chemin faisant, dans toutes les régions du monde, de telles mesures protectionnistes vont limiter les marges des entreprises qui ont encore les moyens de les réduire, mais vont surtout conduire à des hausses de prix tout au long de la chaîne de valeur.

Inflation, affaiblissement de la monnaie nationale, hausse de l'incertitude, baisse des marges... Il n'est pas certain que ce cocktail soit très indiqué par les temps déjà troubles que nous traversons. Selon un rapport de la Tax Foundation, les effets d'une telle guerre commerciale seront également très négatifs sur l'économie américaine, alors même qu'elles ont vocation, selon Trump, à l'enrichir.

Infographie: Les effets des tarifs douaniers sur l'économie américaine s'accumulent | Statista Vous trouverez plus d'infographie sur Statista

Bref, cette guerre commerciale est l'anti-modèle de la coopération gagnant-gagnant. Mais que fait l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ?

L'OMC démunie

Toutes ces mesures protectionnistes sont autant de freins à la libre circulation des marchandises, qui est pourtant au fondement de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et de sa politique du multilatéralisme. Les pays membres de l'OMC, dont les États-Unis, se doivent ainsi d'appliquer le "principe de la nation la plus favorisée" (NPF), qui oblige un membre de l'OMC à faire payer les mêmes droits d'importation à tous les autres partenaires commerciaux de l'OMC pour un produit donné. Notons que l'article II du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) de 1994 complète le principe NPF en fixant le niveau maximal des droits qu'un pays membre peut prélever sur les importations des autres membres.

En principe, les États lésés pourraient donc dépose plainte devant l’organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC. Hélas, qui se souvient encore que l’ORD a été mis en cale sèche par les États-Unis eux-mêmes, sous l'administration Obama ? En effet, privé de la possibilité de renouveler le mandat de certains de ses juges, l'ORD n'a finalement même plus la capacité de statuer depuis 2019. C'est bien là toute la différence entre les deux mandats de Trump : désormais, l'OMC n'a plus vraiment les moyens légaux de l'arrêter dans sa croisade !

Au sein de l'UE, en cas d'escalade protectionniste démesurée, la Commission européenne dispose encore d'un "instrument anti-coercition" lui permettant d'imposer des restrictions en matière de commerce, d'investissements et de financement sur le territoire de l'UE. Mais, encore faudrait-il que l'UE parle d'une seule voix, car nombre d'États membres affichent plus ou moins ouvertement leur volonté de jouer leur propre partition face à Trump. Ainsi, tandis que Giogia Meloni souhaite négocier avec Trump sans pour autant réduire les exportations italiennes vers les États-Unis, Emmanuel Macron a réuni la fine fleur du CAC 40 pour encourager les dirigeants des grandes sociétés à suspendre leurs projets d’investissement outre-Atlantique. Bref, tout le monde semble déstabilisé et pris de cour, marchés financiers inclus, alors que Donald Trump n'a jamais caché ses intentions délirantes même durant la campagne présidentielle.

En définitive, loin de "libérer" les États-Unis avec sa politique de droits de douane, Donald Trump est en train de provoquer une crise mondiale.

P.S. L'image de cet article provient de cet article de Radio Canada.

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