L'austérité selon François Bayrou
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Après mon article qui cherchait à mettre en perspective le déficit public, il ne restait plus qu'à attendre les annonces de François Bayrou pour voir dans quelle mesure elles pouvaient répondre au besoin de redressement des finances du pays. Le plan présenté ressemble davantage à une liste à la Prévert, qui n'a bien entendu pas manqué de suscité des cris d’orfraie à tous les étages ! C'est pourquoi, pour faire suite aux demandes de mes lecteurs (Caroline, Gérard...), il m'a semblé utile de brosser une brève synthèse analytique des mesures annoncées sous l'angle du choc de demande qui va en résulter.
Le constat
Dans son rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes rappelle que "la France vient de traverser deux années noires en matière de finances publiques. Après une dégradation inattendue du déficit public de 0,6 point de PIB en 2023, celui-ci s’est de nouveau creusé de 0,4 point en 2024 pour s’établir à 5,8 %, soit 168,6 Md€". La France a donc le déficit public le plus important de la zone euro.
Et sur une période longue, le solde public n'aura donc jamais été vraiment à l'équilibre :
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[ Source : Site du Premier ministre ]
Ce graphique présenté par François Bayrou lors de sa conférence soulève d'ores et déjà un point important pour l'analyse, pourtant passé sous silence : depuis plusieurs années, la dégradation du déficit public ne résulte pas tant d'une dérive des dépenses publiques, que d'une moindre rentrée de recettes fiscales. J'en profite aussi pour couper court à l'idée selon laquelle les dépenses publiques concernent essentiellement les frais de bouche, les cigares et les déplacements des ministres. L'on nous rebat les oreilles avec cela, mais c'est tout simplement faux comme je l'expliquerai à nouveau en fin d'article.
Un plan en deux volets
Composé de deux volets aux titres évocateurs, "Stop à la dette" et "En avant la production !", le plan de François Bayrou ressemble à s'y méprendre à tous ceux de ses prédécesseurs. Il porte la marque d'une certaine vision de l'économie où tout le monde doit travailler plus pour produire plus, peu importe ce que vous produisez du moment que la croissance revient. Mais, dans son discours quelque peu alambiqué, le Premier ministre a souvent laissé entendre que résorber le déficit public était bon pour la croissance, alors qu'en pratique c'est évidemment l'inverse. Sinon, pourquoi courrait-il après la croissance ?
Toujours est-il qu'avec les annonces de Macron sur le budget de la défense, François Bayrou a dû se résoudre à présenter un plan de restriction budgétaire de 43,8 milliards d'euros (3/4 de coupes dans les dépenses pour 1/4 de hausses des prélèvements), dans le but de réduire le déficit à 4,6 % en 2026, puis à 2,8 % en 2029. Bien entendu, tous les chiffres présentés sont très (trop) optimistes et reposent parfois sur des mesures qui ne pourront pas être reproduites d'une année sur l'autre. Répétons-le, il faut bien avoir en tête que ces mesures ne peuvent à elles seules résoudre le problème, elles n'ont vocation qu'à réduire dans l'urgence un peu le déficit... pour une année seulement !
Vous trouverez plus d'infographie sur Statista Conséquences pour la demande
Comme le dit un très ancien proverbe africain, "chaque marigot a son crocodile". Mais, dans celui de la politique, je crains fort qu'ils soient très nombreux à en juger par les réactions virulentes venant parfois même du socle commun du gouvernement. La palme revient à Édouard Philippe qui, craignant certainement de se voir voler sa place de candidat pour 2027, a descendu en flamme le plan de François Bayrou qualifié de "plan d'urgence" sans réelles réformes structurelles. Pourtant, Édouard Philippe est loin d'être un opposant idéologique à François Bayrou, puisqu'avant d'être Premier ministre d'Emmanuel Macron au temps des gilets jaunes, il avait naguère participé à la création de l'UMP au côté d’Alain Juppé.
Mais, par-delà les (im)postures et calculs politiques, il n'est pas difficile de comprendre que le coup de rabot général constitué par l'année blanche est un outil politique inéquitable. Certes, il touchera riches comme pauvres. Cependant, alors que les premiers disposent assurément encore de quoi vivre décemment, c'est beaucoup moins vrai pour ceux qui terminent le mois avec moins de 50 euros... C'est du reste ce qui ressort d'une excellente étude menée par l'OFCE, avant les annonces supplémentaires sur l'abattement fiscal des retraités :
Impact d’une « année blanche » selon le niveau de vie des ménages
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[ Source : Blog OFCE ]
Le Premier ministre a clairement montré son incompréhension de cette réalité, minimisant par ailleurs le doublement de la franchise sur les médicaments à 100 euros. Or, les effets d'une année blanche, une fois rapportée aux revenus, sont bien plus importants pour les ménages les plus modestes.
Impact d’une « année blanche » selon le niveau de vie des ménages
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[ Source : Blog OFCE ]
Or, lorsque les moteurs de la croissance française sont déjà atteints, il est déraisonnable de vouloir encore couper celui de la consommation, d'autant que les prochaines taxes douanières imposées par Trump vont peser sur le commerce extérieur des entreprises hexagonales. Le choc négatif sur la demande est donc susceptible de conduire à une croissance tellement faible, que le déficit public n'aura plus aucune chance de se réduire. Cela sans compter sur d'autres crises, car nous savons maintenant que le monde est entré dans une zone de turbulences qui amplifie les incertitudes économiques, sociales et politiques.
Remettre à plat tout le système
Je reprends ici les conclusions de mon précédent article concernant le déficit public. Il n'est pas possible de continuer à faire des plans de coupes budgétaires aveugles et à briser l'État social simplement sous prétexte que la France est championne de la dépense publique avec 57 % du PIB. Des coupes claires indifférenciées, sauce concours l'épine de l'idée la plus fumeuse (monétiser la 5e semaine de congés payés, supprimer les ALD...) ne peuvent que plonger l'économie dans un tourbillon récessif, car la moitié de la dépense publique est constituée de prélèvements qui sont restitués aux ménages et soutiennent de la sorte la croissance !
S'indigner que les dépenses publiques soient trop élevées n'a donc aucun sens dans un État jacobin, si nous ne prenons pas la peine d’interroger leur nature, leur montant et leur efficacité. Et cela doit nécessairement s'accompagner d'une remise à plat de tout le système public. La concertation devrait donc porter tant sur le périmètre de l'action publique (dépenses publiques) que les moyens à lui allouer (prélèvements obligatoires, dont impôts), même si cela prend du temps.
Quant à ceux qui prétendent qu'il n'y a plus rien à faire du côté des recettes, tant les prélèvements obligatoires sont élevés, ils se gardent bien de dire que l'on peut taxer mieux et plus équitablement, car se sont souvent leurs intérêts qui sont en jeu lorsque le système d'imposition devient régressif, comme le montre le graphique ci-dessous issu des travaux de Piketty, Bozio, Garbinti, Goupille-Lebret et Guillot.
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[ Source : Trois décennies d’inégalités et de redistribution en France (1990-2018) ]
Avec Macron, la politique de l'offre a considérablement réduit la fiscalité pour certains, dans des proportions bien supérieures au déficit public actuel, dans l'espoir de dynamiser l’activité. Hélas, des comités ont été créés officiellement pour documenter l'échec de cette politique, comme en témoigne notamment le dernier rapport du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, qui conclut à une absence de lien entre suppression de l'ISF et investissement dans l'économie française.
Quant aux aides accordés aux entreprises dans le cadre de cette politique, dont le chiffrage même est incertain et opaque (211 milliards d'euros selon un rapport sénatorial, 112 milliards selon le Haut Commissariat à la stratégie et au plan), un comble, leur efficacité est là aussi remise en cause, d'autant que dans le maquis des aides ce sont souvent les très grandes entreprises qui remportent le gros lot au détriment des plus petites.
Et en ce qui concerne la fiscalité des ménages, Thomas Piketty et son équipe ont suffisamment étudié les travers de l'impôt, en particulier celui sur les revenus, pour en appeler à une révolution fiscale dès 2011 :
En définitive, il n'y a pas grand-chose à attendre du plan de redressement de François Bayrou, car en raison d'un héritage politique à défendre (la politique de l'offre d'Emmanuel Macron), il ne s'attaque pas à l'ensemble des problèmes, pourtant explicitement liés entre eux. Donc, en l'état, le gouvernement se dirige vers la censure, à moins que certains partis politiques ne rejouent le coup de l'accord de dernière minute. Dans tous les cas, les profondes divisions ne permettent actuellement pas cette indispensable concertation sur les finances publiques. Le pire est donc à craindre.
Pour finir, il est vrai que je n'ai qu'effleuré le sujet de la dette publique, car vu la longueur de cet article, il n'était pas raisonnable d'ajouter encore une partie. Mais, que mes lecteurs se rassurent (Franz, Jacques...), j'y reviendrai dans le prochain !
P.S. L'image de cet article provient du site du gouvernement.