Patrimoine, inégalités et taxe Zucman
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C'est peu dire que depuis l'ouverture de la session parlementaire, les débats sont âpres pour tenter de réduire dans l'urgence le déficit public. J'avais déjà analysé en détail la question des dépenses publiques dans cet article. Mais, depuis quelques jours, comme je l'avais écrit, la problématique des recettes fiscales a refait son apparition, en particulier celle concernant la taxation du patrimoine, dont la taxe Zucman est devenue l'emblème. C'est pourquoi après avoir présenté récemment l'état de l'économie française, il m'a semblé utile de résumer brièvement - sans entrer dans tous les détails, je vous rassure - les principaux enjeux liés à la taxation du patrimoine. De quoi donner au lecteur du grain à moudre, afin de permettre à chacun de se faire sa propre opinion.
Qu'est-ce que le patrimoine d'un ménage ?
Selon l'Insee, "le patrimoine brut est le montant total des actifs détenus par un ménage, c’est-à-dire l’ensemble des biens lui permettant de disposer de ressources futures. [...] Il inclut son patrimoine financier, son patrimoine immobilier et son patrimoine professionnel, mais aussi, depuis 2010, le patrimoine résiduel, c’est-à-dire les biens durables (voiture, équipement de la maison, etc.), les bijoux, les œuvres d’art et autres objets de valeur, soit tout ce qui relève du patrimoine matériel, négociable et transmissible. [...]". Et une fois déduit du patrimoine brut le montant du capital encore dû au titre des emprunts, l'on obtient le patrimoine net du ménage.
Les inégalités de patrimoine
Plutôt qu'un long discours, cette vidéo de Xerfi Canal, qui illustre du reste cet article, explique fort bien le problème : les inégalités de patrimoine ont fortement augmenté en France depuis 20 ans !:
Faut-il taxer le patrimoine ?
Les partisans d'une telle taxation fondent en général leur argumentation sur le fait que la hausse vertigineuse de la valeur des patrimoines résulte plus de l'inflation des prix d'actifs que de l’accumulation d’épargne, rendant dès lors cet enrichissement essentiellement sans cause. C'est ce que Guillaume Duval explique dans cette courte vidéo :
Le camp d'en face n'est pas en reste et considère, au contraire, qu'une telle taxation découragerait l'investissement et l'installation en France, sans effet durable sur les finances publiques et la croissance. Pis, selon eux, cette taxe serait confiscatoire et donc contraire à la Constitution.
Toujours est-il que dans les négociations - pas toujours assumées - entre le PS et le gouvernement, c'est avant tout le périmètre du patrimoine concerné qui fait débat. Faut-il y intégrer l'outil de travail ? Seulement les holdings ? Faut-il exclure les start-up ? À partir de quel seuil de détention de parts ? Bref, la semaine qui vient sera décisive sur le plan politique, car les enchères ont monté depuis quelques jours...
La taxe Zucman
Notre collègue, Gabriel Zucman, est devenu une véritable célébrité depuis que la taxe qu'il a proposée a fait son irruption dans le débat politique. Il s'agit en fait d'un impôt plancher de 2 % annuel sur le patrimoine total des foyers fiscaux possédant plus de 100 millions d’euros de patrimoine, cela dans le but de lutter contre l'injustice fiscale et de générer du même coup de nouvelles recettes fiscales pour le budget de la nation.
Sa proposition de taxation est donc fondée sur le constat, partagé par Olivier Blanchard (ancien économiste en chef du FMI) et Jean Pisani-Ferry (ancien commissaire général à la stratégie et à la prospective de France Stratégie, d'une augmentation vertigineuse de la valeur du patrimoine des plus riches, d'un creusement des inégalités patrimoniales et d'une injustice fiscale en matière de taux d'impôt sur les revenus (tous prélèvements obligatoires compris).
Sur ce dernier point, il précise dans ce texte pétitionnaire qu'alors "que l’ensemble des Français acquittent environ 50 % de leurs revenus en impôts et cotisations sociales, tous prélèvements compris, ce chiffre tombe à 27 % pour les milliardaires, soit presque deux fois moins". Il explique que les grandes fortunes touchent leurs revenus pour l'essentiel à travers des holdings familiales, donc sous forme de dividendes non taxés, alors même que ces revenus peuvent être utilisés (et le sont souvent) pour consommer et investir.
L'institut des politiques publiques (IPP) y a d'ailleurs consacré une étude, dont est issu le graphique suivant, très éclairant :
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[ Source : Institut des politiques publiques - Quels impôts les milliardaires paient-ils ? - Juin 2023 ]
Ci-dessous une courte vidéo où Gabriel Zucman explique en termes simples les tenants et aboutissants de sa proposition, étant entendu qu'une version allégée passerait visiblement à côté de son objectif principal.
Sur la question de l'imposition des biens professionnels, je vous recommande de réécouter sur France Culture cette émission d'Entendez-vous l'éco, présenté par Aliette Hovine. Les analyses se sont multipliées, comme celle de l'Institut des politiques publiques (IPP), mais aussi les critiques à l'instar de cette tribune publiée dans le Monde signée notamment par Philippe Aghion ou de ce rapport du Conseil d'analyse économique (CAE), qui évaluent le rendement de cette taxe au quart des 20 milliards estimés par Gabriel Zucman. Bref, le débat est ouvert, d'autant plus que selon le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, le remplacement de l'ISF par l’IFI aurait lésé l'État de quelque 4,5 milliards d'euros de recettes en 2022 !
En définitive, j'espère que cet article aura permis à mes lecteurs de se faire une première idée des tenants et aboutissants de la fiscalité du patrimoine, en particulier professionnel. Il ne reste plus qu'à suivre les débats parlementaires pour savoir si un compromis pourra être arraché sur cette épineuse question...